B. Traven

B. Traven aux éditions Sillage :

traven« Énigme littéraire. Connu sous une trentaine de fausses identités et une demi-douzaine de feintes nationalités. » Ainsi débute la notice consacrée à B. Traven par la Bibliothèque Nationale de France. L’auteur a, en effet, une réputation de mystère.

Le nom de B. Traven apparaît pour la première fois en 1924, au Mexique. La personne qui l’utilise a été auparavant Ret Marut, acteur vivant en Allemagne, responsable d’une revue anarchiste à Munich à la fin de la Première Guerre mondiale. Condamné à mort en 1919 pour activisme, il quitte le pays au début des années 1920. Le nom de Ret Marut n’est mentionné nulle part avant 1907 et les biographes n’ont pas pu déterminer d’où venait celui qui l’employait. Sa carte de résident à Ohrdruf, datée de 1908, indique qu’il est né en 1882 à San Francisco (une ville dont les archives ont brûlé en 1906). En 1912, une autre carte de résident, à Düsseldorf cette fois-ci, indique que Marut est de nationalité britannique. En 1917, il se fait enregistrer à Munich comme citoyen américain. Il n’existe aucun autre renseignement sur ses origines.

Bien entendu, Traven n’a rien fait pour dissiper le mystère. Au Mexique, il a vécu et publié sous divers pseudonymes : B. Traven bien sûr, mais aussi Traven Torsvan ou Hal Croves. Il refusait d’expliquer à quoi renvoyait l’initiale « B. » qui précédait son nom, et fuyait les appareils photographiques. Lui qui écrivait principalement en allemand s’obstinait à se faire passer pour anglais ou américain, parfois pour scandinave, et il nia sa vie durant être d’origine allemande – peut-être par peur d’être extradé. Des admirateurs de son œuvre ont essayé de découvrir qui était l’homme d’avant Traven et d’expliquer pourquoi il se cachait : tour à tour il fut le fils naturel de Guillaume II, le président du Mexique, Jack London, Arthur Cravan, quand le nom de Traven ne dissimulait pas un collectif… Peu à peu, des journalistes et des universitaires se sont efforcé d’éclairer les zones d’ombre – citons notamment les travaux de Karl S. Guthke, qui examine toutes ces hypothèses dans l’indispensable B. Traven : Biographie eines Rätsels. Nous ne savons rien de l’homme que fut Traven avant 1907. La vie de Ret Marut nous est assez connue. Quant à celle que mena Traven au Mexique, les sources de renseignement abondent à son sujet.

En 1907, Marut est donc en Allemagne. Acteur peu connu, il est membre d’une troupe qui parcourt le pays. Il vit quelque temps à Düsseldorf et s’installe à Munich en 1915. Parallèlement à ses activités théâtrales, il publie en revue quelques nouvelles qui rencontrent peu de succès. En 1916, sous le nom de Richard Maurhut, il fait paraître une longue nouvelle, An das Fräulein von S…, chez l’éditeur J. Mermet, dont ce sera le seul titre – peut-être ce nom cache-t-il Irene Mermet, qui deviendra sa compagne et avec laquelle il restera lié jusqu’à la fin des années 1920. En septembre 1917 paraît le premier numéro de la revue Der Ziegelbrenner, dont il écrit tous les articles. Le ton est particulièrement violent ; c’est celui d’un anarchiste et d’un pamphlétaire. Quarante numéros seront publiés à un rythme irrégulier jusqu’en 1921.

Le 8 novembre 1918, le conseil ouvrier de Munich proclame la République. Au début de l’année suivante, Marut occupe des fonctions de censeur dans le nouveau gouvernement. Le 7 avril 1919 est proclamée l’éphémère République des Conseils de Bavière. Elle disparaît le 1er mai. Arrêté, condamné à mort, Marut parvient à s’enfuir. Il entre en clandestinité ; on croit savoir qu’il se cache quelque temps dans la région de Cologne. En août 1923, il parvient à rallier Londres. Il y est en situation irrégulière, et on l’incarcère en novembre. Il est libéré en février 1924, essaye en vain de se faire reconnaître comme citoyen américain. Son nom apparaît sur la liste d’équipage d’un navire norvégien en partance pour Tenerife, mais biffé. Marut s’est-il engagé à bord sous un autre nom afin d’échapper à la police ? A-t-il pris un autre bateau ? Il est impossible de trancher.

À l’été, il arrive au Mexique, pays qui servira de décor à la quasi-totalité de son œuvre à venir. Il vit à Tampico sous le nom de Traven Torsvan, travaille probablement comme journalier, connaît de grandes difficultés financières. Peut-être est-il accompagné quelque temps d’Irene Mermet, qui gagne plus tard les États-Unis, où elle épouse un avocat. Sous les noms de Traven Torsvan et B. Traven, il envoie quantité d’articles et de nouvelles à des journaux américains ou allemands.

En 1925, le rédacteur en chef de la revue Vorwärts le recommande à Ernst Preczang, directeur de la Büchergilde Gutenberg, un club du livre affilié à une association d’imprimeurs, plutôt marquée à gauche. Des relations amicales s’instaurent entre les deux hommes, bien qu’ils ne se soient pas rencontrés. En 1926, la Büchergilde publie Le Vaisseau des morts, qui connaît un succès immédiat, ainsi que Der Wobbly, jamais traduit en français. La même année, l’auteur s’installe à Mexico, où il fréquente l’intelligentsia, se liant notamment avec Diego Rivera.

Le succès de ses premiers romans peut lui permettre de se consacrer essentiellement à l’écriture et à l’étude de la civilisation mexicaine. Sous le nom de Torsvan (et en se déclarant de nationalité norvégienne), il participe en 1926 à une expédition archéologique au Chiapas. De 1927 à 1929, il suit à l’université de Mexico des cours de civilisation mexicaine et de langue espagnole. Il publie en 1927 Le Trésor de la Sierra Madre ; en 1928, Land des Frühlings, récit de voyage illustré de photographies, ainsi queDer Busch, un recueil de nouvelles ; en 1929 paraissent Le Pont dans la jungle et Rosa Blanca.

Traven emménage en 1930 près d’Acapulco, à El Parque Cachú. Pendant les vingt-sept années suivantes, il vivra avec María de la Luz Martínez, qui tient là un restaurant. Il part fréquemment en expédition dans la jungle et se rend parfois aux États-Unis – où il obtient notamment un brevet de pilote d’avion. De 1931 à 1940, il publie les six romans du « Cycle d’acajou », dont seuls ont été traduits en français La Charrette(1931), Indios (1931) et La Révolte des pendus (1936).

Après l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne et l’interdiction de ses œuvres, forcé de trouver un nouveau public, Traven se tourne vers les États-Unis. Il traduit lui-même ses romans, qu’il remanie à cette occasion, y introduisant des développements et modifiant de nombreux détails. Il prétend fournir à son éditeur américain les premières versions de ses textes – selon lui, ils auraient d’abord été écrits en anglais puis traduits en allemand – mais la critique est unanime pour accorder l’antériorité aux versions allemandes.

En 1940, l’auteur rencontre Esperanza López Mateos, dont le frère Adolfo deviendra président de la République du Mexique. Elle traduit ses ouvrages en espagnol à partir des versions anglaises, devient sa secrétaire et son agent. À partir de cette date, Traven se tourne vers le cinéma, écrivant de nombreux scénarios en vue de l’adaptation de ses ouvrages.

En 1947, John Huston commence à tourner Le Trésor de la Sierra Madre. Traven se présente à lui sous le nom d’Hal Croves et prétend être l’agent de l’auteur. Il est engagé sur le tournage pour cent dollars par semaine. Le film sort l’année suivante et remporte un grand succès. Très rapidement, de nombreuses controverses éclatent dans des journaux américains, mexicains ou européens quant à l’identité de Traven. Des articles paraissent dans Life, dans Time, dans le New York Times. Hal Croves publie des tribunes niant qu’il soit Traven. Cette même année, Luis Spota, un journaliste mexicain, parvient à découvrir sa résidence d’Acapulco. Traven répond par un démenti à l’article que publie Spota, affirmant que l’individu nommé Torsvan qu’a rencontré le journaliste est son cousin.

Esperanza López Mateos se suicide en 1951. L’événement semble durablement affecter Traven. Le 13 septembre, il obtient la nationalité mexicaine. La même année paraît le premier numéro des BT-Mitteilungen, une revue qui lui est entièrement consacrée et qu’il rédige lui-même avec Joseph Wieder, son agent européen. La revue est distribuée à des éditeurs de toutes nationalités. Sous couvert d’informer le public des projets de l’écrivain et de combattre les rumeurs courant sur son identité, elle publie de nombreux articles destinés à accréditer les origines américaines et prolétariennes de l’auteur. Elle paraîtra jusqu’en 1960.

En 1953, Traven rencontre Rosa Elena Luján, qui traduit un scénario pour un film tiré de La Révolte des pendus. Elle devient à son tour sa secrétaire, son agent et la traductrice de ses œuvres encore inédites en espagnol. Elle l’accompagne lors d’un long voyage en Europe l’année suivante, et ils se marient en 1957. Le succès ne se dément pas, permettant au couple d’acquérir une vaste maison dans la capitale.

Traven semble s’être désintéressé de la création littéraire durant cette période. Écrire en allemand lui étant devenu difficile, il rédige quelques nouvelles en anglais, qu’il fait paraître dans la presse allemande, anglaise et espagnole. Il publie également des éditions revues et corrigées de ses romans – souvent pour gommer toute référence pouvant trahir d’éventuelles origines germaniques. L’essentiel de son activité est désormais orienté vers le cinéma : plusieurs de ses œuvres sont adaptées entre 1954 et 1961. Hal Croves signe la plupart des scénarios et se rend sur les tournages.

En 1960 paraît Aslan Norval, le premier roman qu’il publie depuis vingt ans. Il est mal reçu par la critique. Traven n’en écrira plus d’autre. Bien que son ouïe et sa vue se détériorent, il continue d’avoir une vie sociale intense, fréquente les théâtres et l’opéra, vit entouré d’amis.

Le 4 mars 1969, il rédige un testament dans lequel il prétend s’appeler Traven Torsvan Croves et être né citoyen américain le 3 mai 1890 à Chicago.

Il meurt le 26 mars. Ses cendres sont dispersées dans le Chiapas.


Bibliographie

 

Œuvres de B. Traven

Romans – Nous indiquons entre parenthèse les traductions en anglais dues à l’auteur.
Das Totenschiff, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1926 (The Death Ship, New York, Alfred A. Knopf, 1934).
Der Wobbly, Berlin-Leipzig, Buchmeister Verlag, 1926 (The Cotton-Pickers, New York, Hill and Wang, 1969).
Der Schatz der Sierra Madre, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1927 (The Treasure of the Sierra Madre, New York, Alfred A. Knopf, 1935).
Die Brücke im Dschungel, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1929 (The Bridge in the Jungle, New York, Alfred A. Knopf, 1938).
Die weisse Rose, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1929 (The White Rose, Londres, Robert Hale, 1965).
Der Karren, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1931 (The Carreta, New York, Hill and Wang, 1970).
Regierung, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1931 (Government, New York, Hill and Wang, 1971).
Der Marsch ins Reich der Caoba, Zurich-Vienne-Prague, Büchergilde Gutenberg, 1933 (March to the Monteria, New York, Dell Publishing & Co., 1964).
Die Troza, Zurich-Vienne-Prague, Büchergilde Gutenberg, 1936.
Die Rebellion der Gehenkten, Zurich-Vienne-Prague, Büchergilde Gutenberg, 1936 (The Rebellion of the Hanged, New York, Alfred A. Knopf, 1952 – avec la mention « traduit de l’espagnol », sans nom de traducteur).
Ein General kommt aus dem Dschungel, Amsterdam, Allert de Lange, 1940.
Aslan Norval, Vienne-Munich-Bâle, Verlag Kurt Desch, 1960.

Recueils de nouvelles
Der Busch, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1928 (nouvelle édition revue et augmentée en 1930).
Sonnenschöpfung, Zurich-Vienne-Prague, Büchergilde Gutenberg, 1936.

Récit de voyage
Land des Frühlings, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1928.

Sous d’autres pseudonymes
An das Fräulein von S…, Munich, J. Mermet, 1916 (sous le nom de Richard Maurhut).
Der Ziegelbrenner (fac-similé), Zurich, Limmat Verlag, 1967 (sous le nom de Ret Marut).

Traductions

Le Vaisseau fantôme, trad. (allemand) de Charles Burghard, Paris, Flammarion, 1934. Sous le titre Le Vaisseau des morts : trad. (allemand) et adaptation de Philippe Jaccottet, Lausanne, Guilde du Livre, 1951 ; trad. (allemand) de Michèle Valencia (première traduction intégrale), Paris, La Découverte, 2004.
Le Pont dans la jungle, trad. (allemand) de Robert Simon, Paris, Gallimard, 2004.
Rosa Blanca, trad. (allemand) de Charles Burghard, Paris, Flammarion, 1932 ; édition revue et augmentée par Pascal Vanderberghe, Paris, La Découverte, 2005.
La Charrette, trad. (espagnol) de Mathilde Camhi, Paris, Calmann-Lévy, 1955.
Indios, trad. (anglais) de Jacqueline Castet, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
La Révolte des pendus, trad. (allemand) de Albert Lehman, Paris, P. Tisné, 1938 ; rééd. Paris, La Découverte, 2004, avec la mention « traduit de l’anglais ».
Le Visiteur du soir et autres histoires, trad. (anglais) de Claude Elsen, Paris, Stock, 1967.
Le Chagrin de saint Antoine et autres histoires mexicaines, trad. (allemand) de Pascal Vandenberghe, Paris, La Découverte, 2005.
Dans l’État le plus libre du monde (Ret Marut), trad. (allemand) d’Adèle Zwicker, Paris, L ’Insomniaque, 1994 ; rééd. Arles, Actes Sud, 1999.
Le genre de choses qui arrivent en France et autres fabliaux (Ret Marut), trad. (allemand) d’Adèle Zwicker, Montreuil, L ’Insomniaque, 1999.

Ouvrages critiques

Baumann Michael Leopold, B. Traven, An Introduction, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1976.
Baumann Michael Leopold, Mr. Traven, I Presume ?, Bloomington, Indiana University Press, 1997.
Beck Johannes, Bergmann Klaus, Boehncke Heiner, Das B. Traven-Buch, Reinbek, Rowohlt Taschenbuch Verlag, 1976.
Dammann Günter (ed.), B. Travens Erzählwerk in der Konstellation von Sprachen und Kulturen, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005 (Actes d’un congrès tenu à Eutin en Allemagne, du 24 au 27 septembre 2003).
Guthke Karl Siegfried, B. Traven : Biographie eines Rätsels, Francfort-sur-le-Main, Büchergilde Gutenberg, 1987.
Heinz Ludwig Arnold (ed.), B. Traven, Munich, Text und Kritik, 1989.
Jenkins Philip, Schürer Ernst, B. Traven, Life and Work, University Park, Pennsylvania State University Press, 1987.
Raskin Jonah, À la recherche de B. Traven, Arles, Les Fondeurs de briques, 2007.
Recknagel Rolf, Insaisissable. Les aventures de B. Traven, alias Ret Marut, Montreuil, L ’Insomniaque, à paraître en janvier 2009.
Stone Judy, The Mystery of B. Traven, Los Altos, William Kaufmann, 1977.
Treverton Edward N., B. Traven : A Bibliography, Lanham, Scarecrow Press, 1999.
Wyatt Will, The Man Who Was B. Traven, London, Cape, 1980.

Signalons également la parution des BT-Mitteilungen, Zurich, Büchergilde Gutenberg, 36 numéros, janvier 1951-avril 1960.

Un dossier en français consacré à Traven sur le site de la revue À contretemps.


Note sur Le Trésor de la Sierra Madre

 

Der Schatz der Sierra Madre paraît en 1927, à Berlin, à la Büchergilde Gutenberg. Une traduction anglaise, due à Basil Creighton, est publiée en 1934, à Londres, chez Chatto & Windus, sous le titre The Treasure of the Sierra Madre.

L’année suivante, l’auteur publie sous le même titre sa propre traduction de l’ouvrage, à New York, chez l’éditeur Alfred A. Knopf. Il s’agit d’une seconde version du texte, qui reprend la trame de la première en développant la plupart des épisodes. Traven insère quelques détails destinés notamment à mieux ancrer le texte dans la réalité mexicaine. La critique de l’influence de l’Église sur les Indiens se durcit. Les remarques concernant les mœurs de la population sont plus nombreuses et plus précises – ce qui peut s’expliquer par le fait que l’auteur a pu en quelques années approfondir sa connaissance du pays où il réside.

C’est cette version américaine que nous avons choisi de traduire. – Une première traduction française du Trésor de la Sierra Madre, due à Henri Bonifas, parut en 1937, à Lausanne, à la Guilde du Livre. Elle s’appuyait sur la version allemande et portait la mention « adapté par Charles Baudoin » – de fait, certains passages importants n’y figuraient pas, notamment le chapitre XII. Cette traduction fut reprise telle quelle dans plusieurs collections de poche, certaines l’annonçant tirée de l’allemand, d’autres de l’anglais.