Herman Melville aux éditions Sillage:
1819-1836 : Troisième d’une fratrie de huit enfants, Herman Melville naît le 1er août 1819 à New York, d’un père issu d’une famille de négociants écossais et d’une mère descendante de patriciens hollandais. Lorsqu’il a treize ans, son père succombe à une pneumonie ; la situation financière de la famille étant désastreuse, Herman est obligé d’interrompre ses études et devient entre autres employé de la New York State Bank. Il parvient néanmoins à suivre quelques cours à l’Albany Classical School, lit Cooper et Byron.
1837-1840 : période de transition au cours de laquelle il alterne diverses professions. Instituteur durant quelques mois en 1837 dans une école de campagne près de Pittsfield (Massachussetts), il s’engage deux ans plus tard comme garçon de cabine à bord du St. Lawrence en partance pour Liverpool. Peu satisfait de cette expérience, il rentre l’année suivante dans sa famille, enseigne à nouveau et voyage dans le Midwest.
1841-1845 : parcourt les mers du Sud et mène une vie d’aventures dans laquelle il puisera l’inspiration de ses premiers romans. Sans doute plus par obligation que par choix, Melville reprend la mer en 1841, à bord cette fois de l’Acushnet, un baleinier ; il profite d’une halte aux îles Marquises en 1842 pour déserter avec son ami Toby Greene quand il est fait prisonnier par une tribu d’indigènes cannibales. Ayant réussi à prendre la fuite, il s’embarque alors sur le Lucy Ann, où les conditions de vie s’avèrent extrêmement dures. À Tahiti, les matelots finissent pas se mutiner ; Melville est arrêté, jeté en prison puis s’évade sans difficultés. Il travaille alors chez un planteur, puis part sur un troisième baleinier, le Charles & Henry, qui le conduit à Hawaï. En 1843, il s’engage comme gabier à bord de la frégate de guerre United States et débarque à Boston en octobre 1844.
1846-1851 : intense période de production littéraire, écrit six romans en six ans. Typee(1846) aborde son expérience dans la tribu des Taïpis ; dans Omoo (1847), il fait allusion à la mutinerie du Lucy Ann et à son expérience en prison. La même année, il s’installe à New York et se marie avec la fille d’un juge, Elizabeth Shaw, dont il aura quatre enfants. Il jouit d’une situation financière plus aisée, en dépit de l’échec de son troisième roman, Mardi (1849), dont la tonalité allégorique déplaît à la critique. Marqué par la révolution de février 1848 en Europe, Melville a ajouté à son roman vingt-trois chapitres « politiques » : l’esclavage, la famine en Irlande, la ruée vers l’or en Californie, etc., y sont abordés. Avec Redburn ou sa première croisière (Redburn : His First Voyage) (1849), il renoue avec le genre du récit autobiographique en relatant sa première traversée. Afin de négocier ses droits d’auteur avec son éditeur, il part pour l’Angleterre et séjourne brièvement en France, en Belgique et en Rhénanie d’octobre 1849 à février 1850. De retour à New York, il fait la rencontre de Nathaniel Hawthorne, son futur voisin, à Pittsfield, où il achète une ferme à l’automne 1850.Vareuse-blanche (White-Jacket) (1850), inspiré de son expérience sur un navire de guerre, plaidoyer contre les châtiments corporels infligés aux matelots dans la marine militaire, reçoit des critiques très élogieuses. Moby Dick (Moby-Dick or the Whale) (1851), dédié à Hawthorne et qui sera considéré comme son plus grand chef-d’œuvre, n’est en revanche qu’un demi-succès.
1852-1866 : Pierre ou les ambiguïtés (Pierre, or The Ambiguities) (1852) roman difficile, traitant du thème de l’inceste, est éreinté par la critique. Atteint par la désaffection d’Hawthorne, amèrement déçu par la réception de son dernier ouvrage, Melville s’oriente alors vers la publication de nouvelles. Avec Bartleby le scribe (Bartleby the scrivener), publié dans le Putnam’s Magazine en 1853, il offre un récit d’une stupéfiante modernité, quasi-existentialiste ; suivent Israel Potter, roman mi-historique, mi-picaresque, Les Îles enchantées (The Encantadas), mettant en scène les îles Galapagos au fil de cinq « esquisses », Benito Cereno, inspiré d’un fait divers de la fin du xviiie siècle. Accaparé par des soucis matériels et physiquement diminué, il entreprend, grâce à l’aide de son beau-père, un voyage en Europe. Son séjour à Liverpool marque la rupture définitive avec Hawthorne. Entre octobre 1856 et mai 1857, il parcourt l’Écosse et l’Angleterre, voyage en Italie puis en Terre Sainte, consignant ses impressions dans ses Carnets. De retour en Amérique, il publie son dernier grand roman, Le Grand Escroc (The Confidence Man : His Masquerade) qui ne remporte pas le succès escompté. Marqué par ce nouvel échec commercial, il renonce à vivre de sa plume et se lance dans des tournées de conférences sur ses voyages. En 1860, un projet d’expédition autour du monde avec son frère doit être abandonné ; l’année suivante, ses espoirs d’obtenir un consulat sont déçus ; enfin il se trouve contraint de vendre sa ferme de Pittsfield en 1862.
1866-1891 : En 1866, accédant à la sécurité matérielle qui lui faisait défaut, il devient inspecteur des douanes à New York, fonction qu’il occupe pendant dix-neuf ans. Abandonnant la fiction, il se tourne vers l’écriture de poèmes. Ses Tableaux de guerre(Battle-Pieces and Aspects of the War) évoquent la guerre de Sécession qui vient de s’achever (1866), Clarel, poème et pèlerinage en Terre Sainte (Clarel : A Poem and a Pilgrimage in the Holy Land) (1876) prend la forme d’une vaste autobiographie spirituelle de dix-huit mille vers. Deux autres recueils sont diffusés de façon confidentielle : John Marr et autres marins (John Marr and Other Sailors) en 1888 et Timoleon en 1891. Auteur oublié, Melville meurt le 28 septembre 1891 ; son décès ne suscite que très peu de réactions. Son dernier récit, Billy Budd, gabier de misaine (Billy Budd : Foretopman), achevé quelques mois auparavant, ne sera publié qu’en 1924.
Bibliographie
The Confidence-Man : His Masquerade a paru pour la première fois le 1er avril 1857 chez l’éditeur Dix & Edwards (New York).
Œuvres d’Herman Melville
The Writings of Herman Melville, H. Hayford, H. Parker, T. Tanselle eds., Northwestern University Press & The Newberry Librabry, 15 vol., 1968-1993
Traductions françaises
Œuvres, Philippe Jaworski éd., Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris. Tome I (1997) : Taïpi – Omou – Mardi. Tome II (2004) : Redburn – Vareuse–Blanche – Articles 1847-1849. Tome III (2006) : Moby Dick – Pierre ou Les Ambiguïtés – Hawthorne et ses “mousses” – Correspondance mai 1850-janvier 1852. Tome IV : à paraître.
Romans
Taïpi, Gallimard, Paris, 1952
Omoo, ou le Vagabond du Pacifique, Gallimard, Paris, 1951
Mardi, Gallimard, Paris, 1983
Redburn ou Sa première croisière : confessions et souvenirs d’un fils de famille engagé comme mousse dans la marine marchande américaine, Gallimard, Paris, 1976
La Vareuse blanche, Gallimard, Paris, 1967
Moby Dick (traduction de Jean Giono), Gallimard, Paris, 1941
Moby Dick (traduction d’Henriette Guex-Rolle), Garnier-Flammarion, 1970
Moby Dick (traduction d’Armel Guerne), Éditions du Sagittaire, Paris, 1954 ; rééd. Phébus, Paris, 2005
Pierre ou Les Ambiguïtés, Gallimard, Paris, 1967
Israël Potter, Gallimard, Paris, 1977
Nouvelles
Benito Cereno et autres contes de la véranda, Gallimard, Paris, 1951
Billy Budd, marin : récit interne ; (suivi de) Daniel Orme, Gallimard, Paris, 1980
Cocorico ! et autres contes, Gallimard, Paris, 1954
Moi et ma cheminée, Éd. du Seuil, Paris, 1984
Le Paradis des célibataires, 10/18, Paris, 2002
Poèmes, articles, correspondance
À bord, Finitude, Bordeaux, 2004
D’où viens-tu, Hawthorne ? : lettres à Nathaniel Hawthorne et à d’autres correspondants suivi de “Hawthorne et ses mousses”, Gallimard, Paris, 1986
Poèmes de guerre, Gallimard, Paris, 1991
Poèmes divers : 1876-1891, Gallimard, Paris, 1991
Journaux de voyage
Carnets de voyage : 1856-1857, Mercure de France, Paris, 1993
Journaux de voyage, Gallimard, Paris, 1956
Journal de voyage : de New York à Londres, 1849, Michel Houdiard, Paris, 2002
Ouvrages critiques et biographies
Mayoux, Jean-Jacques, Melville par lui-même, Éd. du Seuil, Paris, 1958
Durand, Régis, Melville, Signes et métaphores, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1980
Jaworski, Philippe, Melville : le désert et l’empire, Presses de l’École Normale Supérieure, Paris, 1986
Howard Leon, Herman Melville. A Biography, University of California Press, Berkeley, 1951
Parker Hershel, Herman Melville. A Biography, 2 vol., John Hopkins University Press, Baltimore et Londres, 1996-2002
Études sur le Grand Escroc
Lindberg, Gary, The Confidence Man in American literature, Oxford University Press, New York, 1982
Quirk, Tom, Melville’s Confidence Man : from knave to knight, University of Missouri Press, Columbia, Missouri, 1982.
Note de l’éditeur
Le Grand Escroc est le dernier roman publié par Herman Melville. Il parut en 1857, et fut très mal accueilli, tant par le public que par la critique. L’échec commercial duGrand Escroc fut une des raisons pour lesquelles Melville cessa presque complètement d’écrire des textes de fiction durant les trente dernières années de sa vie. Un siècle et demi plus tard, le texte nous semble toujours, dans sa conception, d’une modernité, d’une originalité peu communes. Si regrettable qu’ait été son aveuglement, le public de 1857 a peut-être quelques excuses : Le Grand Escroc est une œuvre complexe, dont l’intérêt ne semble pas devoir s’épuiser au fil des lectures. Melville s’attache à parsemer le roman d’indices contradictoires quant à la duplicité éventuelle de figures dont il est impossible d’affirmer qu’elles sont, ou ne sont pas, des incarnations du Grand Escroc. De ce qui est une fable métaphysique sans dénouement possible – est-il quelque réalité en ce monde ? existe-t-il une autorité, de quelque nature que ce soit, qui puisse décider du vrai ou du faux ? est-il quelque chose ou quelqu’un en qui nous puissions nous fier ? et pourquoi finalement ce besoin aveugle, presque maladif, d’accorder notre confiance ? – Melville fait une manière de roman policier dans lequel seul le lecteur peut être détective – si la fantaisie lui en prend.
Le roman se présente comme une suite de tableaux mettant aux prises un petit groupe de personnages – rarement plus de deux ou trois – dans lesquels, invariablement, l’un des protagonistes va tenter d’inspirer confiance aux autres afin de leur extorquer de l’argent. Le cadre est un vapeur effectuant une descente du Mississipi ; l’action se déroule un premier avril, du lever du soleil à la nuit noire. Nous sommes avertis par le titre et une affiche, placardée près de la cabine du capitaine (qui restera, de même que tout éventuel garant de l’ordre social, invisible tout au long du roman), qu’un escroc étranger, bien singulier génie en son genre, est présent à bord du navire. À partir de là, toutes les conjectures sont permises, mais la plus séduisante – et la plus probable – est que tous les quémandeurs, aigrefins, sophistes et bateleurs qui dans ce livre parviennent à se faire verser de l’argent, si peu que ce soit, sont un seul et même personnage. Il revêt de nouveaux déguisements, la plupart du temps après une escale, repère ses dupes, qu’il aborde parfois sous deux, voire trois visages différents, afin de bien savoir quel personnage leur vendre ou tout simplement pour profiter plus longtemps de leur crédulité ; chacune de ses incarnations prend soin de vanter les mérites de ses consœurs auprès de son public, et il pousse l’habileté, la maîtrise et l’ironie jusqu’à laisser un autre escroc, au petit pied celui-là, essayer de le faire boire, avant de le confondre au cours d’un mémorable chapitre. Ce serait gâcher beaucoup du plaisir de la lecture que de livrer ici la liste des quelques figures créées successivement par le Grand Escroc ; elle est d’ailleurs, à quelques détails près, donnée par un des personnages du roman, dans une réplique qui fit couler beaucoup d’encre.
À l’appui de cette conception de la trame romanesque du Grand Escroc, nous ne citerons que Melville lui-même, qui, dans son très bref chapitre XLIV, nous déclare, et nous explique fort bien, qu’il ne peut y avoir qu’un personnage original pour une œuvre d’imagination. Deux personnages entreraient en contradiction, jusqu’au chaos.
Quant à ceux qui demanderaient la raison pour laquelle un homme si miraculeusement doué pour convaincre et pour tromper se donnerait tant de peine pour gagner si peu, il ne reste plus qu’à répondre, avec un certain sceptique, borgne, boiteux et plutôt revêche : You […] green-horns ! Money, you think, is the sole motive to pains and hazard, deception and deviltry, in this world. How much money did the devil make by gulling Eve ? (Henri Thomas traduit par : « Vous êtes des buses ! Vous pensez que l’argent est l’unique motif des souffrances et des risques, des tromperies et des diableries en ce monde. Combien d’argent le diable a-t-il gagné à duper Ève ? »)
Le diable, comme chacun sait, n’y gagna pas un sou. Pourtant, cette mascarade eut quelque suite.