Francisco de Quevedo aux éditions Sillage :
« Comme Joyce, comme Goethe, comme Shakespeare, comme Dante, comme aucun autre écrivain, Francisco de Quevedo est moins un homme qu’une vaste et complexe littérature. » – Jorge Luis Borges, Enquêtes.
1580 : Naissance de Francisco Gómez de Quevedo y Villegas, à Madrid, le 17 septembre. Il est le dernier d’une fratrie de trois enfants, mais son frère meurt très jeune et sa sœur ne vit que quelques mois.
1586 : Mort de son père, Pedro Gómez de Quevedo y Villegas, ancien secrétaire de l’impératrice Marie d’Autriche à Vienne, puis d’Anne d’Autriche, reine d’Espagne, quatrième femme de Philippe II.
1594 : Après avoir fréquenté le Collège impérial de la Compagnie de Jésus de Madrid, il poursuit ses études, au collège des Jésuites d’Ocaña, en bénéficiant d’une bourse accordée par le roi, grâce à l’intervention de sa grand-mère, Felipa de Espinosa.
1596 : Entrée à l’Université d’Alcalá de Hénarès, pour y étudier, outre les langues classiques et modernes, la philosophie, le droit et les sciences.
1600 : Francisco obtient sa licence ès arts et commence des études de théologie dans la même université. Parallèlement, il fait son entrée dans le monde des lettres. On le dépeint déjà comme un homme laid, boiteux, myope – et très vif d’esprit. Décès de sa mère, María de Santibañez, une ancienne dame d’honneur de la reine.
1601 : Il part pour Valladolid, ville dans laquelle s’était installée la cour, pour y étudier la théologie.
1603 : Il compose ses premiers poèmes satiriques, dont dix-huit seront publiés dans une importante anthologie, les Flores de poetas ilustres. C’est à cette époque que se fortifie son rejet des conceptions esthétiques maniéristes de Luis de Góngora, figure centrale du « cultisme » auquel Quevedo oppose un « conceptisme » privilégiant la maîtrise du verbe contre d’obscures préciosités.
1605 : Il se lance dans la rédaction du Buscón, achevé en 1622.
1606 : Il accompagne la cour à Madrid, afin d’y poursuivre ses études de théologie, et entame la rédaction des Songes, qu’il étalera sur près de vingt années.
1609 : Début de son amitié avec Pedro Téllez Girón, le puissant duc d’Osuna, vice-roi de Sicile et de Naples.
1613 : Quevedo se rend en Italie à l’appel de son nouveau protecteur. Il se voit confier des missions diplomatiques auprès du roi ou du pape, et est mêlé à de nombreuses intrigues : au mois de décembre, il participe au soulèvement du peuple de Nice contre Charles-Emmanuel de Savoie.
Entre 1612 et 1635, son activité littéraire ne faiblit pas. Puisant tout à la fois dans sa correspondance avec l’illustre philologue flamand Juste Lipse, défenseur d’un renouveau du stoïcisme, et aux sources de l’enseignement de Sénèque, Quevedo multiplie les traités de morale : Le Berceau et la sépulture pour la connaissance de soi et désillusion des biens d’autrui ; Constance et patience de Job le saint ; Comment remédier à tous les aléas de fortune. Doctrine stoïcienne et Politique de Dieu, gouvernement du Christ et tyrannie de Satan, ce dernier ouvrage étant destiné à régler la conduite du prince. Dans ce traité qui se démarque nettement des théories de Machiavel, chaque précepte est inspiré des Écritures.
1616 : Séjour en Espagne pour y recevoir des mains du souverain l’habit de chevalier de l’ordre de Santiago. Il y retournera en 1618, après l’échec de la conjuration de Venise.
1619 : Il rédige un pamphlet antisémite intitulé La première et la plus dissimulée des persécutions des Juifs contre Jésus-Christ et contre l’Église, en faveur de la Synagogue.
1620 : Le duc d’Osuna tombe en disgrâce, et Quevedo est emprisonné pour avoir trompé la famille royale et abusé des largesses de son ami, contre lequel il sera contraint de témoigner. Il finit par être libéré après plusieurs mois de détention et se rend dans sa maison de La Torre de Juan Abad, près de Valdepeñas.
1623 : Toujours en quête d’un protecteur qui lui permettrait de se rapprocher du pouvoir, il suit Philippe IV en Andalousie, puis en Aragon. Le comte-duc d’Olivarès, favori de Philippe IV, le prend sous sa protection et obtient pour lui le titre honorifique de secrétaire royal. C’est probablement dans le courant de cette année que Quevedo écrit Heurs et malheurs du trou du cul, un opuscule mêlant farce rabelaisienne et charge antisociale, qui ne circulera jamais de son vivant autrement que sous le manteau et sans nom d’auteur.
1624 : Publication de l’Épître satirique et censure des mœurs des Castillans d’aujourd’hui, dédié au comte-duc d’Olivarès.
1626 : Parution de la Vida del Buscón, écrite entre 1605 et 1622, dans une version expurgée, les versions manuscrites ayant circulé révélant un texte plus corrosif. Ces précautions ne sont toutefois pas suffisantes pour empêcher une dénonciation à l’Inquisition en 1631.
1627 : Les textes rassemblés dans Songes et discours de vérités dénonciatrices d’abus, dont la rédaction fut contemporaine de celle du Buscón, subissent le même traitement et Quevedo sera contraint, en 1631, de faire réimprimer son recueil sous un titre bien plus innocent : Jouets de l’enfance et espiègleries de l’esprit. Ces textes peuvent se lire comme des fantaisies morales, dont l’ambition est de dénoncer l’avènement de l’argent et la disparition de l’intérêt général, fossoyeurs de la société traditionnelle fondée sur le sens de l’honneur. Dans cette perspective, certaines corporations sont violemment stigmatisées (greffiers, taverniers, médecins, marchands, etc.), et Judas, Luther et Mahomet font office de corrupteurs de l’humanité.
1628 : Quevedo est relégué au couvent de San Marcos de Leõn pour être intervenu dans la polémique relative au choix d’un saint patron pour l’Espagne, ses faveurs s’étant portées vers saint Jacques de Compostelle au détriment de sainte Thérèse d’Avila.
1630 : Dans El Chitón de las tarabillas, il prend la défense de la politique économique d’Olivarès.
1631 : Quevedo, qui avait engagé une procédure pour acquérir le droit de porter le titre de seigneur de La Torre de Juan Abad, obtient gain de cause, après vingt-deux ans de lutte contre la municipalité concernée. Il apportera désormais un soin presque maladif à faire apparaître ce titre en frontispice de chacun de ses livres.
1634 : Après une longue liaison avec une actrice nommée Ledesma, il épouse une veuve quinquagénaire, doña Esperanza de Mendoza. Le mariage est malheureux et il ne tarde pas à se séparer de sa femme, deux ans après leur mariage, en s’enfuyant de Venise.
1639 : Accusé d’écrire des libelles hostiles au gouvernement d’Olivarès après l’avoir longuement soutenu, Quevedo est de nouveau emprisonné au couvent de San Marcos, dans une cellule humide qui ruine sa santé et dont il ne sort que quatre ans plus tard.
1644 : De retour à Madrid, Quevedo se charge lui-même de la publication de son testament politique, Vie de Marcus Brutus, d’après Plutarque.
1645 : Malade, presque aveugle, il meurt le 8 septembre à Villanueva-de-los-Infantes, province de Ciudad-Real.
1649 : Son ami González de Salas publie une première collection de ses oeuvres poétiques, Le Parnasse espagnol, complétée vingt ans plus tard par Pedro Aldrete Quevedo, neveu de l’écrivain.
1650 : Publication de L’Heure de tous et la Fortune raisonnable (rédigé en 1636), autre fantaisie morale dans laquelle chacun reçoit pour une heure ce que la Fortune lui doit. C’est aussi une attaque franche contre la gestion administrative et la politique étrangère d’Olivarès.
Obras completas, préface, édition et notes de Felicidad Buendía (4e ed.), Madrid, Aguilar, 1958-1960.
Obras completas en prosa (3 vol.), Alfonso Rey (dir.), Madrid, Castalia, « Nueva biblioteca de erudición y crítica », 2003-2005.
La Vida del Buscón llamado Don Pablo, Domingo Ynduráin (ed.), Madrid, Cátedra, 2003.
La Vida del Buscón fut publié pour la première fois par P. Verges en 1626 à Saragosse, sous le titre Historia de la vida del Buscón, llamado Don Pablos, ejemplo de vagamundos, y espejo de tacaños.
Traductions françaises
El Buscón
L’Avanturier Buscon, histoire facécieuse, traduction de La Geneste, Paris, 1633.
L’Avanturier Buscon, in Les Oeuvres de don Francisco Quevedo Villegas, traduction de Raclots, Bruxelles, J. de Grieck, 1699.
Le Fin-Matois, ou Histoire du Grand-Taquin, traduction de Nicolas-Edme Rétif de La Bretonne et Vaquette d’Hermilly, La Haye, 1776 (reproduit en reprint dans le volume n° 48 des Œuvres complètes de Rétif de la Bretonne, Genève, Slatkine, 1988).
Histoire de Don Pablo de Ségovie, surnommé l’Aventurier Buscon, traduction d’Alfred Germond de Lavigne, précédée d’une lettre de Charles Nodier, Paris, Charles Warée, 1843.
La Vie de l’aventurier don Pablos de Ségovie, in Romans picaresques espagnols, traduction de Jean-Francis Reille, édition de Maurice Molho et Jean-Francis Reille, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968.
Récits, traités, poésie
L’Heure de tous et la Fortune raisonnable, édition, introduction, traduction et notes de Jean Bourg, Pierre Dupont et Pierre Geneste, Paris, Aubier-Montaigne, 1980.
Sonnets amoureux, traduction de Frédéric Magne, Paris, La Délirante, 1981.
L’Ombre dernière, traduction de Sophie et Carlos Pradal, édition bilingue, Pin-Balma (Haute-Garonne), Sables, 1988.
Monuments de la mort : trente et un sonnets, traduction de Claude Esteban, édition bilingue, Montolieu (Aude), Deyrolle, 1992.
Songes et discours, traitant de vérités dénicheuses d’abus, vices et tromperies, dans tous les états et offices du monde, traduction d’Annick Louis et Bernard Tissier, postface de Marie Roig Miranda, Paris, José Corti, 2003.
Sonnets, traduction de Bernard Pons, édition bilingue, Paris, José Corti, 2003.
Les Visions de Quevedo, traduites par le Sieur de La Geneste, édition, introduction et notes de Marie Roig Miranda, Paris, Honoré Champion, 2004.
Heurs et malheurs du trou du cul, suivi de Poèmes satiriques et burlesques, traduction et postface de Victor Martinez, Paris, Mille et Une Nuits, « La Petite Collection », 2004.
Biographies et ouvrages critiques
Mas Amédée, La Caricature de la femme, du mariage et de l’amour dans l’œuvre de Quevedo, Paris, Ediciones Hispano-americanas, 1957.
Spitzer Leo, L’Art de Quevedo dans le Buscón, Paris, Ediciones Hispano-americanas, 1972.
Berger Philippe, « Remarques sur l’action dans le Buscón », in Les Langues Néolatines, n°208, 1974, pp. 1-23.
Cros Edmond, L’Aristocrate et le carnaval des gueux : étude sur le Buscón de Quevedo, Montpellier, Université Paul Valéry, Centre d’études sociocritiques, 1975.
Crosby James O., Guia bibliografica para el Estudio Critico de Quevedo, Londres, Grant and Cutler, 1976.
Gendreau-Massaloux Michèle, Héritage et création : recherches sur l’humanisme de Quevedo, Lille, Atelier Reproduction des thèses, 1977.
Jammes Robert, « À propos de Góngora et de Quevedo : conformisme et anticonformisme au Siècle d’Or », in La Contestation de la Société dans la Littérature Espagnole du Siècle d’Or, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1981, pp. 83-93.
Borges Jorge Luis, Enquêtes, traduction de Sylvia et Paul Bénichou, Paris, Gallimard, 1986.
Chevalier Maxime, « Pour une définition du Buscón », in Bulletin Hispanique, n° 89, 1987, pp. 119-130.
Roig Miranda Marie, Les Sonnets de Quevedo : variations, constance, évolution, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1990.
Borges Jorge Luis, La Jouissance littéraire, traduction de Jean-Pierre Bernès, Paris, La Délirante, 1991.
Canavaggio Jean (dir.), Histoire de la littérature espagnole, t. I, Paris, Fayard, 1993, pp. 657-681.
Ortega Marie-Linda (dir.), La Poésie amoureuse de Quevedo, Lyon, E.N.S. Éditions, « Feuillets », 1997.
Fernández Mosquera Santiago, La poesía amorosa de Quevedo : disposición y estilo desde “Canta sola a Lisi”, Madrid, Gredos, 1999.
Fernández Mosquera Santiago, Quevedo : reescritura e intertextualidad, Madrid, Biblioteca nueva, 2005.
Saez Ricardo, Lecturas del Buscón de Quevedo, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
Revue
La Perinola : Revista de investigación quevediana, Pampelune, Servicio de publicaciones de la Universidad de Navarra, n° 1-10, 1997-2006.
Lien
Page consacrée à Quevedo sur le site de la Biblioteca Virtual Miguel de Cervantes.
Note du traducteur
Nicolas-Edme Rétif de La Bretonne (1734-1806) et l’hispanisant Vaquette d’Hermilly (1710-1778) s’associèrent pour établir une traduction du Buscón, intitulée Le Fin-Matois, ou Histoire du Grand-Taquin et imprimée à La Haye en 1776. Cette collaboration ponctuelle s’expliquait en partie par la situation sociale de d’Hermilly dont la fonction de censeur royal, jointe au plus grand dénuement, retint l’intérêt de Rétif au moment où celui-ci recherchait l’approbation du Paysan perverti (qui parut finalement dans une version adaptée aux exigences de la censure et lui valut une certaine notoriété). Pour vingt-cinq louis, Rétif acquit la traduction de d’Hermilly, bon connaisseur de la langue, de la littérature et de la civilisation espagnoles (on doit à d’Hermilly, outre son travail sur la traduction du Buscón, une édition d’œuvres choisies de Quevedo en espagnol, la traduction d’une Histoire générale de l’Espagne, de l’Histoire du royaume de Majorque et desLusiades de Camões, parues cette même année 1776 révisées par La Harpe), en même temps qu’il s’attirait sa bienveillance. Après avoir retravaillé cette première version, Rétif la compléta de sept chapitres de son crû, prétendant en avoir découvert le manuscrit – ce qui laissa d’Hermilly pour le moins sceptique. Quevedo avait lui-même envisagé de donner une suite à son récit (il y fait allusion dans le dernier paragraphe du manuscrit original) mais elle ne fut jamais écrite.
Enfin, Rétif ajouta au texte une préface, une longue notice, quelques cent cinquante notes et une histoire abrégée de l’Inquisition de la Cuenca, empruntée à Mme d’Aulnoy et à un manuscrit français anonyme.