Pétrarque

Pétrarque aux éditions Sillage :

petrarqueFrancesco Petrarca, dit Pétrarque, naît à Arezzo le 20 juillet 1304. Des démêlés avec la faction des Guelfes poussent sa famille à s’installer à Avignon en 1311. Entre 1315 et 1319, le jeune homme est formé par l’italien Convenevole da Prato à la rhétorique, la dialectique et la grammaire. Son père l’envoie étudier le droit à Montpellier en 1319 puis à Bologne en 1323, mais Pétrarque souhaite se consacrer aux belles-lettres.

En 1325, il revient à Avignon, attiré par la cour papale, et entre dans les ordres mineurs. Exempté des devoirs contraignants d’ecclésiastique, il entame une vie mondaine, et c’est durant cette période, en 1327, qu’il rencontre Laure de Noves, alors âgée de dix-sept ans. Il l’immortalisera dans le Canzoniere, recueil de 366 poèmes en langue vulgaire auquel il travaillera jusqu’à sa mort et dont provient l’essentiel de sa gloire et de son influence modernes. Célébrant dans un style très maniériste cet amour platonique, il donne naissance au pétrarquisme, forme neuve du lyrisme amoureux.

De 1330 à 1333, il visite Paris, les Flandres et les bords du Rhin. C’est le début d’une période qui le voit devenir l’un des plus grands érudits européens – sa pensée sera l’une des sources majeures de la Renaissance. Il développe un réseau de correspondants partageant ses idéaux humanistes, effectue d’importants travaux philologiques, remet au jour plusieurs textes de Cicéron, de Properce, une partie de l’Histoire romaine de Tite-Live… De retour à Avignon il se réfugie dans son ermitage du Vaucluse pour échapper aux embarras de la cour pontificale, dont il n’a de cesse de vilipender la corruption. C’est dans sa propriété des bords de la Sorgue qu’il composera l’essentiel de son œuvre poétique et littéraire.

En 1341, il est solennellement couronné poète des poètes au Capitole à Rome par Robert d’Anjou, lettré, mécène, et l’un des princes les plus puissants d’Italie. Pétrarque est à cette époque marqué par une profonde crise de conscience religieuse, qui coïncide avec un vif intérêt pour l’avenir de l’Italie et la restauration de l’Église romaine. Il est en ambassade à la cour du roi de Hongrie quand il apprend la mort de Laure, en 1348, probablement de la peste noire. Il en tirera les sonnets les plus déchirants du Canzoniere. Il s’installe à Milan en 1353. Il y restera huit ans, durant lesquels les Visconti le chargent de différentes missions diplomatiques. Il part pour Venise en 1362 puis, en 1368, se retire dans la campagne voisine d’Arqua. Il y meurt le 19 juillet 1374.

 


Repères bibliographiques

Éditions françaises de L’Ascension du Mont Ventoux

L’Ascension du Mont Ventoux, trad. Victor Develay, Paris, Librairie des bibliophiles, 1880.
Sous le titre Lettre de Pétrarque au P. François Denis, trad. Henri Sebert, in Gabriel Faure,Au Ventoux avec Pétrarque, Avignon, Aubanel frères, 1928.
L’Ascension du Mont Ventoux, trad. Pierre Julian, Carpentras, Éd. du Mont Ventoux, 1937.
L’Ascension du Mont Ventoux, trad. Denis Montebello, Revue ORACL, hiver-printemps 1985 (Réédition : Saint-Sébastien-sur-Loire, Séquences, 1990).
L’Ascension du Mont Ventoux, trad. Paul Bachmann, Clepsydre – Musée Pétrarque, « L’or des mots », 1996.
L’Ascension du Mont Ventoux, trad. Jérôme Vérain, Paris, Mille et Une Nuits, « La petite collection », 2001.
L’Ascension du Mont Ventoux, in Lettres Familières, IV, 1. Tome II, Livres IV-VII, sous la dir. de Pierre Laurens, trad. André Longpré, notices et notes d’Ugo Dotti, Les Belles Lettres, Paris, 2002.

L’édition Belles Lettres de 2002 constitue une excellente édition de référence.

Bibliographie succinte

ALEXANDRE-GRAS D., Le Canzoniere de Boiardo, du pétrarquisme à l’inspiration personnelle, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1980.
ANGELI M., La postérité répond à Pétrarque : sept siècles de Fortune Pétrarquienne en France, Paris, Éd. Beauschene, « Bibliothèque Historique et Littéraire », 2006.
BILLANOVICH G., « Petrarca e il Ventoso », Italia medioevale e umanistica, vol. 9, Padoue, Ed. Antenore, 1966.
BILLANOVICH G., Petrarca e il primo umanesimo, Studi sul Petrarca 25, Padoue, Ed. Antenore, 1996.
DUPERRAY E., L’or des mots, une lecture de Pétrarque et du mythe littéraire de Vaucluse des origines à l’orée du XXe siècle : histoire du pétrarquisme en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.
MANN N., Pétrarque, les voyages de l’esprit : quatre études, préface de Marc Fumaroli, Grenoble, Éd. Jérôme Millon, Nomina, 2004.
MAZZOTTA G., The Worlds of Petrarch, Durham, Duke University Press, 1993.
MICHEL A., Pétrarque et la pensée latine, Éd. Aubanel, Avignon, 1975.
NARDONE J.-L., Pétrarque et le pétrarquisme, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1998.
OSSOLA C., Pétrarque et l’Europe, Actes du colloque de l’Institut d’études littéraires du Collège de France, avec la participation d’Yves Bonnefoy, Marc Fumaroli, Michel Zink…, Grenoble, Éd. Jérôme Millon, « Nomina », 2006.
TRIPET A., Pétrarque ou la connaissance de soi, Paris, Honoré Champion, 2004.


Note du traducteur

Si elle a pu être considérée, par sa perfection formelle, ses correspondances internes et l’univocité de son message, comme un objet littéraire et philosophique en soi, l’Ascension du Mont Ventoux reste avant tout une lettre que Pétrarque inséra à l’intérieur de ses Lettres familières (IV, 1), en guise de prologue au récit de son couronnement comme « poète des poètes », à Rome, le 8 avril 1341. Telle qu’elle nous a été transmise, cette lettre, adressée en latin à son directeur de conscience, le Père augustinien Dionigi dei Roberti, est datée du 26 avril 1336 mais des indices relevés par Giuseppe Billanovich (note 1) trahissent des remaniements de la lettre qui, au moins dans un cas, ne peuvent avoir eu lieu que bien après le couronnement, vers le milieu de l’an 1353 (alors que Dionigi dei Roberti meurt en 1342). Ce remaniement, comme le note Ugo Dotti (note 2), a une double fonction : désamorcer en amont, par un détachement affiché vis-à-vis des choses matérielles, ce que peut comporter de vanité l’élévation au grade de poète officiel et, d’autre part, annoncer le projet du Secretum (Mon secret), livre majeur de la Renaissance, présenté comme un dialogue entre Saint-Augustin et le poète, que Pétrarque commence aux alentours de 1342 et n’achèvera que quinze ans plus tard.

1. G. Billanovich, « Petrarca e il Ventoso », Italia medioevale e umanistica, vol. 9 (1966), Padoue, Ed. Antenore, p. 389-401. Voir aussi, du même auteur, Petrarca e il primo umanesimo, Studi sul Petrarca 25, Padoue, Ed. Antenore, 1996.

2. Pétrarque, Lettres familières, tome II, (Livres IV-VII), notices et notes de Ugo Dotti mises en français par Christophe Carraud et Franck La Brasca, traduction d’André Longpré [publ. sous la dir. de Pierre Laurens], Paris, Les Belles Lettres, 2002.


Premières pages… 

 

Lettre à Dionigi de Borgo San Sepolcro, de l’Ordre de Saint-Augustin, professeur d’Écriture Sainte, au sujet de ses propres soucis (note 1)

Je viens aujourd’hui de faire l’ascension de la plus haute montagne de la région, que l’on nomme à bon droit Mont Ventoux (note 2), conduit par l’unique désir d’en voir la hauteur remarquable. J’avais l’idée de ce périple depuis de nombreuses années. Comme tu le sais, j’ai dès l’enfance grandi en ces lieux, par le fait de ce destin qui mène la vie des hommes (note 3).Et cette montagne, largement visible en tout lieu, s’offre presque toujours à mon regard.

L’envie me prit de faire enfin une bonne fois ce que chaque jour je projetais de faire ; en relisant, la veille, l’Histoire romaine de Tite-Live (note 4), j’étais tombé par hasard sur le passage où Philippe, roi de Macédoine – celui qui combattit le peuple romain – escalada l’Hémus, en Thessalie, et confirma l’opinion répandue selon laquelle on pouvait de son sommet apercevoir deux mers, l’Adriatique et le Pont-Euxin (note 5). Vrai ou faux, je n’en ai pas l’assurance parfaite car la distance séparant ce mont de notre région et le désaccord des écrivains rendent la chose douteuse. Sans vouloir tous les évoquer, le géographe Pomponius Mela (note 6) n’a pas d’hésitation à ce sujet ; Tite-Live en revanche juge la rumeur infondée ; quant à moi, si l’expérience que j’avais de ce mont-là était aussi tangible que celle que j’ai de celui-ci, je ne laisserais pas longtemps le doute perdurer. Du reste, pour en venir au Mont Ventoux, en laissant l’autre de côté, il m’a paru qu’on excuserait chez un jeune particulier ce qui chez un roi âgé n’est pas remis en cause.

Quand j’en vins à penser à un compagnon de route, comble d’étonnement, pas un de mes amis ne me sembla réellement faire l’affaire, si rare est l’harmonie parfaite des volontés et des caractères, même entre des êtres chers. L’un était trop mou, l’autre trop nerveux, l’un trop lent, l’autre trop vif, l’un trop morose, l’autre trop enjoué, l’un trop bête, l’autre trop réfléchi à mon goût. Le silence de l’un me faisait peur, de même que la loquacité de l’autre ; le poids et l’embonpoint de l’un me terrifiaient, la maigreur et la faiblesse de l’autre également ; la froide indifférence de l’un me décourageait mais l’activité fébrile de l’autre pareillement ; autant de défauts qu’on tolère, quoique graves, quand on est chez soi (« la charité excuse tout » (note 7) et l’amitié ne refuse aucun fardeau) mais qui deviennent particulièrement pénibles en voyage.

Mon esprit délicat, épris d’un plaisir distingué, pesait un à un chaque inconvénient avec circonspection, sans naturellement remettre en cause les liens de l’amitié, et en silence condamnait tout ce qu’il prévoyait pouvoir nuire à l’expédition déterminée. Qu’en penses-tu ? Finalement, je me tournai vers mes domestiques, et à mon unique frère, mon cadet, que tu connais bien, je dévoilai mon projet. Il ne pouvait rien entendre de plus agréable et me remercia de se voir appelé auprès de moi à la place d’un ami autant que d’un frère.

1. Dionigi dei Roberti (vers 1300-1342), entré très jeune dans l’ordre des Ermites de Saint-Augustin, devient à vingt-quatre ans docteur en théologie. Ami proche de Pétrarque, dont il est un temps le confesseur, ami également de Boccace à la cour de Robert d’Anjou, il meurt à Naples le 31 mars 1342.

2. Ventoux vient du latin ventosus (« venteux »).

3. Probable allusion à l’exil à Avignon auquel la famille de Pétrarque doit se résoudre en 1311, conséquence des luttes qui opposent en Italie Guelfes et Gibelins.

4. Tite-Live, Histoire romaine, XL, 21, 2-4 ; XL, 22, 4-6. Philippe V de Macédoine aurait fait l’ascension de l’Hémus en juillet 181 afin de « prendre de la hauteur » et décider d’une stratégie. Au sommet du mont le brouillard était tel que Philippe ne vit rien, mais au retour il confirma l’idée reçue qui voulait qu’on y embrassât « d’un coup d’œil le Pont-Euxin, l’Adriatique, le Danube et les Alpes ».

5. Actuelle mer Noire.

6. Pomponius Mela, Chorographie, II, 17 : « L’Hémus est si haut que de son sommet on aperçoit le Pont-Euxin et l’Adriatique. »

7. Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, XIII, 7.